Vous êtes ici : Accueil > Actualités > Quand le juge ne veut plus juger : l'incitation excessive à la médiation entre les parties à un procès masque une incapacité de l'institution judiciaire à rendre correctement la justice.

Quand le juge ne veut plus juger : l'incitation excessive à la médiation entre les parties à un procès masque une incapacité de l'institution judiciaire à rendre correctement la justice.

Le 25 septembre 2023
Le rêve inavoué de l’institution judiciaire, une justice sans juge ni avocat : quand l’injonction de médiation confine au déni de justice.

La médiation est parfois souhaitable et efficace (tous les avocats proposent spontanément à leur client une phase de négociation* avant et pendant le contentieux, c'est consubstantiel du métier d’avocat depuis toujours).

*  La négociation n'est pas la médiation mais l'état d'esprit est voisin. 

Ce qui est critiquable c'est que bien souvent (dans des proportions très élevées) la médiation est utilisée pour décharger artificiellement la justice. Prosaïquement, elle permet au juge d'avoir un dossier de moins à traiter sur son bureau.

La maxime souvent proférée par les magistrats : "il vaut mieux une bonne médiation qu'un mauvais procès" dévoile une réalité qui devrait nous révolter : le juge, dont le métier consiste à juger, à trancher, considère a priori que la décision qu'il va prendre sera nécessairement plus mauvaise que le compromis trouvé entre parties ! quelle tristesse ... cela en dit long sur l'idée que certains juges se font de la qualité de la prestation qu'ils délivrent ! Si un juge pense que les parties feront mieux que lui, qu'il change donc de métier !

Le cœur du problème c'est que la justice n'a pas les moyens de fonctionner correctement et ce, depuis des dizaines d’années.

En réalité, cette injonction à la médiation tous azimuts de l’institution judiciaire est très souvent une réponse délétère à son incapacité de juger correctement les litiges qui lui sont soumis et ce, notamment par manque de moyen :

« Votre voisin vous harcèle ? votre patron vous discrimine ? votre locataire ne paie pas son loyer ? l'entreprise concurrente de la vôtre a des pratiques déloyales ? ne demandez pas au juge de trancher le litige, il n'en a ni l’envie ni les moyens, débrouillez-vous en trouvant un compromis avec la partie adverse ! » voilà le message que lance une institution judiciaire défaillante.

Avec ce raisonnement du "tout est négociable", "tout est compromis", "il n'y a pas une partie qui a raison et l'autre qui à tort, c'est plus compliqué que ça…" etc., on demande aujourd'hui en France à des salariés harcelés par leur patron de médier avec ... le patron !

En poussant ce raisonnement à l'extrême – et à l’absurde - on enverra bientôt la femme violée enjointe de médier avec son présumé violeur ... ! depuis déjà plus de 10 ans le droit pénal a entériné cette pratique dans la procédure dites de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC) où l'on apprend au jeune délinquant qu'après avoir commis son infraction il peut aller négocier sa peine avec le procureur de la république ! comment donner une colonne vertébrale à ces jeunes (qui en manquent cruellement) lorsque l'Etat leur permet de négocier dans un contexte où une décision verticale aurait toute sa place.

La médiation, c'est l'horizontalité et les sociétés occidentales actuelles crèvent de cette horizontalité déstructurante. 

A noter que si le renvoi de plus en plus systématique des parties en médiation est critiquable en ce qu'il constitue un artifice pour désengorger les tribunaux au préjudice des justiciables, il trouve aussi son origine, ce qui est probablement plus préoccupant, dans la défiance de l'institution à l'idée de juger. Dans la société du "tout se vaut" le jugement d'un homme (fût-il juge) sur un autre homme souffre d'un a priori négatif. (pour preuve, le dicton aussi absurde que culpabilisant: « c’est pas bien de juger »)

La médiation a bien entendu sa place dans notre institution judiciaire, pour autant, il est évident que le "tout médiation" actuel trouve principalement son origine dans la faillite du juge à donner une réponse satisfaisante au justiciable.

Ne pas voir cette réalité dans ce phénomène du "tout médiation" relève à mon sens de la cécité ou de la mauvaise foi.

Pour comprendre ma défiance à l’endroit du « tout médiation » il convient de revenir aux origines de la justice :

Au départ la justice (au sens de litige tranché par un tiers impartial) n’existait pas ou peu.

Lorsque les premiers hommes sur terre avaient un différend, ils le réglaient entre eux, soit en négociant, « en médiant », soit en ayant recours à la force, la violence pour avoir gain de cause sur la partie adverse. Notons qu’en l’espèce la violence n’est pas qu’une alternative à la médiation, elle peut être l’outil du plus fort ou du moins honnête pour arriver à la médiation.

Puis nous avons inventé l’institution judiciaire pour que le règlement des litiges soit plus juste, notamment en évitant une résolution du litige par un huis clos entre les deux parties, laquelle résolution était souvent favorable à la partie la plus puissante.

L’institution judiciaire a donc été inventée pour que le procès soit gagné par la partie qui a raison et non par la partie la plus puissante.

C’est ainsi qu’une tierce personne a fait son apparition dans le procès en la personne du juge brisant le huis clos entre les parties et faisant triompher la justice sur le rapport de force.

Le tour de force des pro-médiations est de faire croire que la médiation est un progrès alors qu’il s’agit d’un retour en arrière archaïque, un retour au huis clos sans juge impartial !

Dans la pratique, la médiation peut être pertinente quand le rapport de force entre les parties à la médiation est équilibré (et encore, pas toujours  !), par exemple pour solutionner un litige commercial entre deux multinationales. D’ailleurs ces justiciables particuliers que sont les grandes entreprises ne s’y sont pas trompées car elles ont très largement contribué à l’essor du phénomène en inventant et perfectionnant « leur médiation » sous la forme de l’arbitrage* international, lequel comporte de facto une phase de médiation hors le champ de la justice étatique

* L’arbitrage n’est pas la médiation mais ces deux modes de résolution alternatifs des litiges sont nés d’une défiance à l’endroit de la justice traditionnelle.

En revanche, renvoyer à la médiation deux parties qui n’ont pas la même force (financière, psychologique ou technique) biaise le dispositif notamment lorsque les parties à la médiation sont d’un côté une personne morale – société commerciale par exemple - et, de l’autre, une personne physique.

En effet, la personne morale est dans 99% des cas beaucoup plus riche que la personne physique. En outre, elle n’a pas le même rapport au temps qu’une personne physique. Or, le temps qui passe est une donnée essentielle de la négociation : celui qui a le temps d’attendre a une plus-value sur l’autre ! S’ajoute encore à cela que la personne morale est une abstraction de sorte le risque pour elle est bien moindre que pour la personne physique. Ainsi, les échanges éventuellement rudes durant la médiation peuvent affecter psychologiquement la personne physique qui, de ce fait, infléchira sa position alors que la personne morale n’a pas d’état d’âme.

Ainsi renvoyer deux parties de force inégale en médiation en les privant de l’arbitrage du juge est un retour au huis clos préhistorique susvisé, lequel dispositif est pourtant présenté aujourd’hui comme la quintessence d’une justice moderne … l’escroquerie intellectuelle est parfaite !

Parce qu’on n’a plus les moyens de bien juger, on invente un système alternatif qui ne coûte quasiment rien à l’Etat - le médiateur est payé par les parties - puis on fait croire au justiciable que le dispositif au rabais est mieux que le dispositif coûteux (la justice) choisi originellement. Ce phénomène rappelle celui de l’uberisation dans un contexte d’affaissement continuel de l’Etat notamment dans les secteurs régaliens.

Justiciables, ne laissez pas l'institution judiciaire vous priver de votre droit d'accès à un juge !